En soixante ans de carriere, Elliott Erwitt, 81 ans, membre de l’agence Magnum, a photographie des hommes politiques, des stars de cinema, des plages, des dizaines d’enfants, des centaines de chiens. Le point commun entre ses photos ? L’humour. Il est l’un des seuls photographes a faire rire, sans complexe, avec ses images. Nous avons rencontre cet esprit espiegle en marge de son exposition, a la Maison europeenne de la photographie, a Paris.
Pourquoi avoir choisi de faire rire avec vos images ?
Etre amusant est plus serieux que d’etre serieux. Ou plutot, etre amusant, ce n’est pas manquer de serieux. Je ne rigole pas avec l’humour !
Mais toutes vos images ne sont pas droles…
Certaines ne le sont pas du tout. Par exemple, cette photo avec deux lavabos, l’un avec eau chaude pour les Blancs, l’autre avec eau froide pour les Noirs. On voyait ce genre de scene partout dans le sud des Etats-Unis dans les annees 1950. C’est tragique, mais graphiquement fort.
Comment avez-vous fait cette photo du G.I. qui tire la langue ?
C’etait pendant la guerre de Coree, j’etais a l’armee. On s’entrainait dans le New Jersey. La moitie des gars ont ete envoyes en Coree, et beaucoup sont morts. L’autre moitie, dont moi, est allee en Europe, et ils s’y sont amuses comme des fous. J’ai eu beaucoup de chance dans la vie !
Pourquoi avez-vous fait cette photographie a ce moment-la ? Pour dedramatiser ?
Comment voulez-vous que je le sache ? Je ne me souviens pas de ce que j’ai fait hier !
Pourquoi la majorite des photographes choisissent-ils plutot de montrer des cotes sombres ?
Si les photographes sont excessivement serieux, c’est parce que la photo est un exercice trop facile. C’est une facon de lui donner un peu de gravite. La photo, ce n’est pas comme l’aeronautique ! On peut faire des images sans effort et sans formation.
Attention, je n’ai pas dit de bonnes images. Mais ca vaut le coup d’en faire de tres mauvaises, car elles peuvent devenir a la mode…
Vous voyez-vous comme un artiste ?
Peut-etre. Je suis surtout un artisan. Je dis souvent que je suis un photographe avec un hobby, qui est la photographie. La majorite de mes images sont alimentaires, mais je prends aussi des photos pour mon propre plaisir. Parfois elles se rejoignent, pas toujours.
Avez-vous des liens avec des artistes contemporains ?
Recemment, j’ai fait un livre sous un pseudonyme, un livre en couleur, j’en suis tres content. Je fais des autoportraits a la maniere d’artistes connus, comme Cindy Sherman, pour m’amuser.
Qu’est-ce que vous avez contre Cindy Sherman ?
Elle est totalement dingue.
Comment vous etes-vous forme a la photographie ?
J’ai lu les instructions sur la boite.
Et apres ?
J’ai fait des photos des voisins, des bals de l’ecole. Puis j’ai travaille dans un labo a Hollywood. J’ai tout fait : la politique, la publicite, la mode, les natures mortes, meme de la photo culinaire… J’ai beaucoup photographie les enfants, j’en ai eu six, et les chiens. J’ai fait huit livres sur les chiens. Il y a des gens qui m’engagent juste pour faire un portrait de leur chien.
Pourquoi les chiens ?
Ce sont des sujets faciles et je les adore. Pour attirer leur attention, j’aboie. En fait, les chiens sont des gens avec plus de cheveux. Et ils sont plus directs.
Comme dans cette image ou l’on voit un chien qui pisse devant la porte de Brandebourg ?
C’est mon chien. Il aboie en allemand. Le mur venait de tomber… Mais attention, il n’y est pour rien ! Et ce n’est pas moi qui lui ai dit de pisser la, il ne pisse pas selon mes instructions.
Avez-vous fait des photos politiques ?
J’ai tout fait. J’ai couvert la Maison Blanche sous Kennedy. Et j’ai aussi photographie la rencontre Khrouchtchev-Nixon a Moscou, en 1959. A l’epoque, j’avais une commande publicitaire pour une marque de refrigerateurs.
Quand on a annonce la premiere visite de Nixon en Russie, j’ai rejoint le groupe de journalistes. J’etais au bon moment au bon endroit : on les voit qui se disputent au Salon de l’industrie, a Moscou. Richard Nixon est en train de lui dire : „Vous, les Russes, vous mangez du chou, et nous les Americains nous mangeons de la viande.” Nikita Khrouchtchev lui repond : „Va enculer ma grand-mere.”
Et la photographie de guerre ?
C’est la seule chose que je n’ai pas faite.
Pourquoi ?
C’est dangereux !
Vous savez que vous etes difficile a interwiever ?
Il parait. Mais vous n’avez qu’a inventer.
„Personal Best”, Maison europeenne de la photographie. 5-7, rue de Fourcy. Paris 4e. Tel. : 01-44-78-75-00. Du mercredi au dimanche, de 11 heures a 20 heures. Jusqu’au 4 avril. Mo Saint-Paul.
Propos recueillis par Claire Guillot
Article paru dans l’edition du 11.02.10

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Erwitt : „Je ne rigole pas avec l’humour”

En soixante ans de carriere, Elliott Erwitt, 81 ans, membre de l’agence Magnum, a photographie des hommes politiques, des stars de cinema, des plages, des dizaines d’enfants, des centaines de chiens. Le point commun entre ses photos ? L’humour. Il est l’un des seuls photographes a faire rire, sans complexe, avec ses images. Nous avons rencontre cet esprit espiegle en marge de son exposition, a la Maison europeenne de la photographie, a Paris.
Pourquoi avoir choisi de faire rire avec vos images ?
Etre amusant est plus serieux que d’etre serieux. Ou plutot, etre amusant, ce n’est pas manquer de serieux. Je ne rigole pas avec l’humour !
Mais toutes vos images ne sont pas droles…
Certaines ne le sont pas du tout. Par exemple, cette photo avec deux lavabos, l’un avec eau chaude pour les Blancs, l’autre avec eau froide pour les Noirs. On voyait ce genre de scene partout dans le sud des Etats-Unis dans les annees 1950. C’est tragique, mais graphiquement fort.
Comment avez-vous fait cette photo du G.I. qui tire la langue ?
C’etait pendant la guerre de Coree, j’etais a l’armee. On s’entrainait dans le New Jersey. La moitie des gars ont ete envoyes en Coree, et beaucoup sont morts. L’autre moitie, dont moi, est allee en Europe, et ils s’y sont amuses comme des fous. J’ai eu beaucoup de chance dans la vie !
Pourquoi avez-vous fait cette photographie a ce moment-la ? Pour dedramatiser ?
Comment voulez-vous que je le sache ? Je ne me souviens pas de ce que j’ai fait hier !
Pourquoi la majorite des photographes choisissent-ils plutot de montrer des cotes sombres ?
Si les photographes sont excessivement serieux, c’est parce que la photo est un exercice trop facile. C’est une facon de lui donner un peu de gravite. La photo, ce n’est pas comme l’aeronautique ! On peut faire des images sans effort et sans formation.
Attention, je n’ai pas dit de bonnes images. Mais ca vaut le coup d’en faire de tres mauvaises, car elles peuvent devenir a la mode…
Vous voyez-vous comme un artiste ?
Peut-etre. Je suis surtout un artisan. Je dis souvent que je suis un photographe avec un hobby, qui est la photographie. La majorite de mes images sont alimentaires, mais je prends aussi des photos pour mon propre plaisir. Parfois elles se rejoignent, pas toujours.
Avez-vous des liens avec des artistes contemporains ?
Recemment, j’ai fait un livre sous un pseudonyme, un livre en couleur, j’en suis tres content. Je fais des autoportraits a la maniere d’artistes connus, comme Cindy Sherman, pour m’amuser.
Qu’est-ce que vous avez contre Cindy Sherman ?
Elle est totalement dingue.
Comment vous etes-vous forme a la photographie ?
J’ai lu les instructions sur la boite.
Et apres ?
J’ai fait des photos des voisins, des bals de l’ecole. Puis j’ai travaille dans un labo a Hollywood. J’ai tout fait : la politique, la publicite, la mode, les natures mortes, meme de la photo culinaire… J’ai beaucoup photographie les enfants, j’en ai eu six, et les chiens. J’ai fait huit livres sur les chiens. Il y a des gens qui m’engagent juste pour faire un portrait de leur chien.
Pourquoi les chiens ?
Ce sont des sujets faciles et je les adore. Pour attirer leur attention, j’aboie. En fait, les chiens sont des gens avec plus de cheveux. Et ils sont plus directs.
Comme dans cette image ou l’on voit un chien qui pisse devant la porte de Brandebourg ?
C’est mon chien. Il aboie en allemand. Le mur venait de tomber… Mais attention, il n’y est pour rien ! Et ce n’est pas moi qui lui ai dit de pisser la, il ne pisse pas selon mes instructions.
Avez-vous fait des photos politiques ?
J’ai tout fait. J’ai couvert la Maison Blanche sous Kennedy. Et j’ai aussi photographie la rencontre Khrouchtchev-Nixon a Moscou, en 1959. A l’epoque, j’avais une commande publicitaire pour une marque de refrigerateurs.
Quand on a annonce la premiere visite de Nixon en Russie, j’ai rejoint le groupe de journalistes. J’etais au bon moment au bon endroit : on les voit qui se disputent au Salon de l’industrie, a Moscou. Richard Nixon est en train de lui dire : „Vous, les Russes, vous mangez du chou, et nous les Americains nous mangeons de la viande.” Nikita Khrouchtchev lui repond : „Va enculer ma grand-mere.”
Et la photographie de guerre ?
C’est la seule chose que je n’ai pas faite.
Pourquoi ?
C’est dangereux !
Vous savez que vous etes difficile a interwiever ?
Il parait. Mais vous n’avez qu’a inventer.
„Personal Best”, Maison europeenne de la photographie. 5-7, rue de Fourcy. Paris 4e. Tel. : 01-44-78-75-00. Du mercredi au dimanche, de 11 heures a 20 heures. Jusqu’au 4 avril. Mo Saint-Paul.
Propos recueillis par Claire Guillot
Article paru dans l’edition du 11.02.10

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Postat de pe data de 31 ian., 2010 in categoria România în lume. Poti urmari comentariile acestui articol prin RSS 2.0. Acest articol a fost vizualizat de 418 ori.

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