En ce debut d’apres-midi, le froid est mordant a Geneve. Stella, 42 ans, et sa fille Simona, 17 ans, arrivees il y a une semaine d’Aiud, ville du centre-ouest de la Roumanie pour mendier, n’ont, depuis ce matin, recolte que six francs suisses (4 euros).
Les deux femmes roms ont joue au chat et a la souris avec la police genevoise, autour de la gare de Cornavin. Elles font desormais le pied de grue dans la galerie marchande. Cette nuit, elles dormiront dans un abri de la protection civile. „Avant, ca rapportait plus. Maintenant, on recoit juste de quoi manger et encore”, explique Stella, qui en est a son troisieme sejour a Geneve et dit d’un air las etre „au courant des dernieres mesures”.
Le 21 janvier, par voie de communique, le Conseil d’Etat (le gouvernement cantonal) annoncait „des mesures pour proteger les enfants mendiants a Geneve”, en chargeant la police de les interpeller et de les conduire au service de protection des mineurs pour evaluer „leur situation familiale et sociale”. Les mineurs pourront alors etre places en foyer et eventuellement scolarises. Et si leur securite est en cause, leurs parents pourraient se voir retirer le droit de garde. Ces derniers seront par ailleurs denonces au procureur general pour „avoir mis en danger la sante de leurs enfants en les utilisant pour mendier sur la voie publique”.
Depuis quelques annees, les autorites genevoises se sont ainsi attaquees au „probleme” des mendiants roms, apparu dans plusieurs grandes villes depuis la suppression, en 2004, de l’obligation de visa entre la Roumanie et la Suisse. Le phenomene est encore marginal, mais porteur electoralement. A Geneve, ceux qui mendient viennent principalement de trois villes du departement d’Alba, en Transylvanie. Sedentarises en Roumanie, ils font plusieurs allers-retours dans l’annee, en famille, fuyant la misere et les discriminations qui les empechent d’envoyer leurs enfants a l’ecole.
Ils sont environ 70 personnes en hiver et 150 a 200 aux beaux jours, echappant aux reseaux mafieux comme l’a demontre une enquete des autorites genevoises. Mais „la vue de mendiants concentres dans le centre-ville, a des endroits de grand passage, choque les gens”, reconnait Jean-Philippe Brandt, porte-parole de la police cantonale.
D’autant plus que Geneve a connu aux alentours de Noel un fort afflux d’enfants roms. Charles Beer, ministre socialiste de l’instruction publique, s’est emu publiquement du spectacle d’un mineur de 12 ans mendiant a genoux devant un magasin, par un froid glacial, expliquant que son but etait „d’assurer la dignite de ces enfants durant leur sejour a Geneve”, et meme d’en scolariser certains.
„Bons sentiments”
Pour Dina Bazarbachi, avocate et directrice de Mesemrom, association genevoise de defense des Roms, „cette annonce pleine de bons sentiments et faite sans concertation” s’inscrit dans un contexte de plus en plus repressif. Fin 2007, la nouvelle loi cantonale contre la mendicite a de facto criminalise les mendiants roms, qui sont passibles de lourdes contraventions, convertibles en peine de prison s’ils ne s’en acquittent pas. Plus de 8 000 amendes ont ete dressees. En 2009, la police a detruit systematiquement les abris de fortune consideres comme des „dechets”.
Ces nouvelles mesures pour la protection des enfants rappellent „une page tres sombre de l’histoire suisse”, estime Mme Bazarbachi. De 1926 a 1976, la fondation Pro Juventute avait ete chargee par Berne de sedentariser de force les enfants des Jenisch, les Tziganes suisses, arrachant 800 mineurs a leur famille.
Le 22 janvier, une femme rom redevable de 2 000 francs d’amende convertie en 22 jours de peine privative de liberte, a ete interpellee dans un refuge de l’Armee du salut ; ses enfants de 9 et 6 ans ont ete places dans un foyer et le dernier de 3 ans envoye a l’hopital. „Nous sommes intervenus pour la faire liberer et recuperer les enfants”, raconte Mme Bazarbachi. La famille, terrorisee, est partie pour Annecy. Depuis, les enfants mendiants ont quasiment disparu des rues de Geneve. Mais tout le monde s’attend a leur reapparition dans quelques semaines.
Les autorites genevoises, elles, sont prudentes. La police dit attendre la constitution de „patrouilles specifiques” pour intervenir. Pierre-Andre Dettwiler, de la direction generale de l’office de la jeunesse, precise que si les Roms „font cesser la mendicite de leurs enfants, aucune mesure d’autorite ne sera prise”. Ou iront alors les mineurs ? Au chaud, dans des foyers, repond le fonctionnaire, alors que les moins de 5 ans pourraient etre accueillis dans un centre special. De scolarisation, il n’est, pour l’instant, plus question.
Agathe Duparc
Article paru dans l’edition du 05.02.10

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Geneve veut empecher la mendicite des enfants roms, quitte a les separer de leurs parents

En ce debut d’apres-midi, le froid est mordant a Geneve. Stella, 42 ans, et sa fille Simona, 17 ans, arrivees il y a une semaine d’Aiud, ville du centre-ouest de la Roumanie pour mendier, n’ont, depuis ce matin, recolte que six francs suisses (4 euros).
Les deux femmes roms ont joue au chat et a la souris avec la police genevoise, autour de la gare de Cornavin. Elles font desormais le pied de grue dans la galerie marchande. Cette nuit, elles dormiront dans un abri de la protection civile. „Avant, ca rapportait plus. Maintenant, on recoit juste de quoi manger et encore”, explique Stella, qui en est a son troisieme sejour a Geneve et dit d’un air las etre „au courant des dernieres mesures”.
Le 21 janvier, par voie de communique, le Conseil d’Etat (le gouvernement cantonal) annoncait „des mesures pour proteger les enfants mendiants a Geneve”, en chargeant la police de les interpeller et de les conduire au service de protection des mineurs pour evaluer „leur situation familiale et sociale”. Les mineurs pourront alors etre places en foyer et eventuellement scolarises. Et si leur securite est en cause, leurs parents pourraient se voir retirer le droit de garde. Ces derniers seront par ailleurs denonces au procureur general pour „avoir mis en danger la sante de leurs enfants en les utilisant pour mendier sur la voie publique”.
Depuis quelques annees, les autorites genevoises se sont ainsi attaquees au „probleme” des mendiants roms, apparu dans plusieurs grandes villes depuis la suppression, en 2004, de l’obligation de visa entre la Roumanie et la Suisse. Le phenomene est encore marginal, mais porteur electoralement. A Geneve, ceux qui mendient viennent principalement de trois villes du departement d’Alba, en Transylvanie. Sedentarises en Roumanie, ils font plusieurs allers-retours dans l’annee, en famille, fuyant la misere et les discriminations qui les empechent d’envoyer leurs enfants a l’ecole.
Ils sont environ 70 personnes en hiver et 150 a 200 aux beaux jours, echappant aux reseaux mafieux comme l’a demontre une enquete des autorites genevoises. Mais „la vue de mendiants concentres dans le centre-ville, a des endroits de grand passage, choque les gens”, reconnait Jean-Philippe Brandt, porte-parole de la police cantonale.
D’autant plus que Geneve a connu aux alentours de Noel un fort afflux d’enfants roms. Charles Beer, ministre socialiste de l’instruction publique, s’est emu publiquement du spectacle d’un mineur de 12 ans mendiant a genoux devant un magasin, par un froid glacial, expliquant que son but etait „d’assurer la dignite de ces enfants durant leur sejour a Geneve”, et meme d’en scolariser certains.
„Bons sentiments”
Pour Dina Bazarbachi, avocate et directrice de Mesemrom, association genevoise de defense des Roms, „cette annonce pleine de bons sentiments et faite sans concertation” s’inscrit dans un contexte de plus en plus repressif. Fin 2007, la nouvelle loi cantonale contre la mendicite a de facto criminalise les mendiants roms, qui sont passibles de lourdes contraventions, convertibles en peine de prison s’ils ne s’en acquittent pas. Plus de 8 000 amendes ont ete dressees. En 2009, la police a detruit systematiquement les abris de fortune consideres comme des „dechets”.
Ces nouvelles mesures pour la protection des enfants rappellent „une page tres sombre de l’histoire suisse”, estime Mme Bazarbachi. De 1926 a 1976, la fondation Pro Juventute avait ete chargee par Berne de sedentariser de force les enfants des Jenisch, les Tziganes suisses, arrachant 800 mineurs a leur famille.
Le 22 janvier, une femme rom redevable de 2 000 francs d’amende convertie en 22 jours de peine privative de liberte, a ete interpellee dans un refuge de l’Armee du salut ; ses enfants de 9 et 6 ans ont ete places dans un foyer et le dernier de 3 ans envoye a l’hopital. „Nous sommes intervenus pour la faire liberer et recuperer les enfants”, raconte Mme Bazarbachi. La famille, terrorisee, est partie pour Annecy. Depuis, les enfants mendiants ont quasiment disparu des rues de Geneve. Mais tout le monde s’attend a leur reapparition dans quelques semaines.
Les autorites genevoises, elles, sont prudentes. La police dit attendre la constitution de „patrouilles specifiques” pour intervenir. Pierre-Andre Dettwiler, de la direction generale de l’office de la jeunesse, precise que si les Roms „font cesser la mendicite de leurs enfants, aucune mesure d’autorite ne sera prise”. Ou iront alors les mineurs ? Au chaud, dans des foyers, repond le fonctionnaire, alors que les moins de 5 ans pourraient etre accueillis dans un centre special. De scolarisation, il n’est, pour l’instant, plus question.
Agathe Duparc
Article paru dans l’edition du 05.02.10

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Postat de pe data de 31 ian., 2010 in categoria România în lume. Poti urmari comentariile acestui articol prin RSS 2.0. Acest articol a fost vizualizat de 523 ori.

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