L’itineraire tourmente de Giovanni Papini
Deux livres font redecouvrir l’œuvre complexe et riche en controverses d’un grand ecrivain italien
C’etait l’Europe d’avant 1914, avant la Grande Guerre qui, on le sait, fracassa tout un monde. Ils avaient deja publie, ou hesitaient a le faire, ils ecrivaient depuis longtemps, lisaient depuis plus longtemps encore: Proust, Schnitzler, Pessoa, Svevo, Claudel, Cavafy et bien d’autres, dont tous les contemporains sont les debiteurs. A cette liste, on doit ajouter le nom d’un ecrivain injustement oublie, meme dans son pays ou il avait ete tour a tour admire et controverse, et peu traduit dans le notre.
Avec Un homme fini, Giovanni Papini (1881-1956) nous offre de nouveaux eclats de cette litterature en proie aux inquietudes, aux tristesses «fin de siecle» et tentee de humer l’air nouveau, de rever a un avenir radieux. C’est en 1913 que parait cette autobiographie interieure, sorte de memoires metaphysiques. Du roman annonce sur la couverture de l’edition francaise, cet ouvrage n’a que la mise en forme musicale, les differentes etapes de la vie etant marquees par les mouvements Andante, Appassionato, etc.
Le narrateur a pris le soin d’avertir: il ne parlera jamais des femmes qu’il a aimees; ce qui l’interesse, c’est son itineraire existentiel. Ne dans une famille pauvre de Florence, se jugeant laid, des l’enfance affame de lectures, Giovanni Papini naitra dans le ciel des idees et en cherchera dans le monde une confirmation.
Lorsqu’il commence a rediger ce texte, il a deja fonde deux revues, a publie non sans succes, mais il se considere comme «un homme fini», parce que son entreprise existentielle n’a pas reussi. Son livre est le constat d’un echec. La traversee des constructions les plus attirantes du siecle precedent, Schopenhauer et surtout Nietzsche, s’est soldee par une retombee dans le nihilisme.
Mais le desir de retrouver un homme universel, abstrait, sera remplace par l’enracinement dans son terroir florentin. L’attrait pour le nationalisme, le desir de faire echapper l’Italie au provincialisme expliquent, sans l’excuser, sa sympathie pour Mussolini au debut des annees trente. Et le renoncement a la theorie totalisante, ce grand reve des philosophes europeens, sera compense par l’elaboration de fictions.
Papini est demeure celui qui n’accepte pas le monde, mais il exprime son desarroi grace a des figures romanesques auxquelles il prete ses obsessions et ses angoisses. A travers les nouvelles, ecrites de 1906 a l’aube des annees cinquante et reunies dans Concerto fantastique (1954), glissent miroirs, masques, bals etranges et aussi d’improbables creatures fugitives: une vieille princesse habitant un palais toscan delabre, des inconnus proposant d’etranges pactes, Don Juan, devenu vieux, marie, n’osant plus sortir de chez lui, se demandant ce qu’etait vraiment l’amour, ou ce gentilhomme malade surgissant devant le narrateur pour lui expliquer qu’il n’est qu’un fantome dans le reve de quelqu’un.
Mais qui reve? Qui est dans le reve de l’autre? Rien d’etonnant a ce que plus tard, Borges ait admire Papini. Les interrogations sur l’essence de la personnalite rejoignent la quete identitaire de ses memoires et, dans des textes souvent brefs – le temps d’une apparition –, le fantastique poursuit le debat philosophique qu’il entretenait en lui-meme.
Et puis, en 1919, est survenu ce qu’il a appele sa «seconde naissance»: il s’est converti au catholicisme. L’attirance pour le mysticisme, deja tres nette des le premier numero, dedie a Novalis, de sa revue Leonardo, s’epanouit dans sa Vie du Christ (1921) et le conduit a l’abbaye de la Verna ou il devient tertiaire de Saint-Francois sous le nom de Frere Bonaventure.
Plus tard encore, il reprendra des interrogations sur le demon, deja presentes dans Un homme fini. Publie en 1953, Le Diable provoqua scandale et polemique. Dans cet essai que L’Osservatore Romano critiqua mais que le Vatican ne mit jamais a l’Index, Papini demeure au cœur de l’ontologie chretienne et, sous l’influence d’Origene, il reprend deux sujets qui lui sont chers: la souffrance de Dieu et, grace a la priere des hommes, le Salut du Diable. Texte en apparence iconoclaste, mais exprimant une foi profonde. Plus de cinquante ans ont passe, le temps des querelles theologiques semble revolu. Mais peut-etre etaient-elles preferables a l’indifference.
FRANCINE DE MARTINOIR
Et aussi : CONCERTO FANTASTIQUE, de Giovanni Papini, traduit de l’italien par Gerard Genot, preface de Francois Livi, Ed. L’Age d’Homme, 605 p., 28€.

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L’itineraire tourmente de Giovanni Papini

L’itineraire tourmente de Giovanni Papini
Deux livres font redecouvrir l’œuvre complexe et riche en controverses d’un grand ecrivain italien
C’etait l’Europe d’avant 1914, avant la Grande Guerre qui, on le sait, fracassa tout un monde. Ils avaient deja publie, ou hesitaient a le faire, ils ecrivaient depuis longtemps, lisaient depuis plus longtemps encore: Proust, Schnitzler, Pessoa, Svevo, Claudel, Cavafy et bien d’autres, dont tous les contemporains sont les debiteurs. A cette liste, on doit ajouter le nom d’un ecrivain injustement oublie, meme dans son pays ou il avait ete tour a tour admire et controverse, et peu traduit dans le notre.
Avec Un homme fini, Giovanni Papini (1881-1956) nous offre de nouveaux eclats de cette litterature en proie aux inquietudes, aux tristesses «fin de siecle» et tentee de humer l’air nouveau, de rever a un avenir radieux. C’est en 1913 que parait cette autobiographie interieure, sorte de memoires metaphysiques. Du roman annonce sur la couverture de l’edition francaise, cet ouvrage n’a que la mise en forme musicale, les differentes etapes de la vie etant marquees par les mouvements Andante, Appassionato, etc.
Le narrateur a pris le soin d’avertir: il ne parlera jamais des femmes qu’il a aimees; ce qui l’interesse, c’est son itineraire existentiel. Ne dans une famille pauvre de Florence, se jugeant laid, des l’enfance affame de lectures, Giovanni Papini naitra dans le ciel des idees et en cherchera dans le monde une confirmation.
Lorsqu’il commence a rediger ce texte, il a deja fonde deux revues, a publie non sans succes, mais il se considere comme «un homme fini», parce que son entreprise existentielle n’a pas reussi. Son livre est le constat d’un echec. La traversee des constructions les plus attirantes du siecle precedent, Schopenhauer et surtout Nietzsche, s’est soldee par une retombee dans le nihilisme.
Mais le desir de retrouver un homme universel, abstrait, sera remplace par l’enracinement dans son terroir florentin. L’attrait pour le nationalisme, le desir de faire echapper l’Italie au provincialisme expliquent, sans l’excuser, sa sympathie pour Mussolini au debut des annees trente. Et le renoncement a la theorie totalisante, ce grand reve des philosophes europeens, sera compense par l’elaboration de fictions.
Papini est demeure celui qui n’accepte pas le monde, mais il exprime son desarroi grace a des figures romanesques auxquelles il prete ses obsessions et ses angoisses. A travers les nouvelles, ecrites de 1906 a l’aube des annees cinquante et reunies dans Concerto fantastique (1954), glissent miroirs, masques, bals etranges et aussi d’improbables creatures fugitives: une vieille princesse habitant un palais toscan delabre, des inconnus proposant d’etranges pactes, Don Juan, devenu vieux, marie, n’osant plus sortir de chez lui, se demandant ce qu’etait vraiment l’amour, ou ce gentilhomme malade surgissant devant le narrateur pour lui expliquer qu’il n’est qu’un fantome dans le reve de quelqu’un.
Mais qui reve? Qui est dans le reve de l’autre? Rien d’etonnant a ce que plus tard, Borges ait admire Papini. Les interrogations sur l’essence de la personnalite rejoignent la quete identitaire de ses memoires et, dans des textes souvent brefs – le temps d’une apparition –, le fantastique poursuit le debat philosophique qu’il entretenait en lui-meme.
Et puis, en 1919, est survenu ce qu’il a appele sa «seconde naissance»: il s’est converti au catholicisme. L’attirance pour le mysticisme, deja tres nette des le premier numero, dedie a Novalis, de sa revue Leonardo, s’epanouit dans sa Vie du Christ (1921) et le conduit a l’abbaye de la Verna ou il devient tertiaire de Saint-Francois sous le nom de Frere Bonaventure.
Plus tard encore, il reprendra des interrogations sur le demon, deja presentes dans Un homme fini. Publie en 1953, Le Diable provoqua scandale et polemique. Dans cet essai que L’Osservatore Romano critiqua mais que le Vatican ne mit jamais a l’Index, Papini demeure au cœur de l’ontologie chretienne et, sous l’influence d’Origene, il reprend deux sujets qui lui sont chers: la souffrance de Dieu et, grace a la priere des hommes, le Salut du Diable. Texte en apparence iconoclaste, mais exprimant une foi profonde. Plus de cinquante ans ont passe, le temps des querelles theologiques semble revolu. Mais peut-etre etaient-elles preferables a l’indifference.
FRANCINE DE MARTINOIR
Et aussi : CONCERTO FANTASTIQUE, de Giovanni Papini, traduit de l’italien par Gerard Genot, preface de Francois Livi, Ed. L’Age d’Homme, 605 p., 28€.

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Postat de pe data de 28 feb., 2010 in categoria România în lume. Poti urmari comentariile acestui articol prin RSS 2.0. Acest articol a fost vizualizat de 528 ori.

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