Le 16 novembre 2009, dans le centre de Montreuil, rue de Paris, face au palais des congres qui abritera neuf jours apres le Salon du livre pour la jeunesse, trente hommes femmes et enfants trop visibles sont chasses par la force publique d’une friche ou ils habitent dans des baraques, detruites sur le champ. Affoles, ils poussent alors en colonne des charriots ou sont rassembles des restes de leur habitat detruit par les autorites jusqu’a un abri sauvage plus loin dans la ville, ou dorment des clochards. Des chiens et leurs maitres en uniforme d’une societe de securite leur en ferment l’entree. Ils poursuivent jusqu’a un terrain etroit ou ils campent la nuit, caches au milieu de leurs effets, et sont reveilles le jour par des agents de la mairie et de la police qui leur ordonnent de fuir.
Affaiblis par la force publique qui les harcele, les prive de sommeil, de nourriture, d’hygiene, ils reforment pendant plusieurs jours la petite colonne qui erre puis s’arrete sur un trottoir entre la friche purgee des ruines de leur ancien logis et la halle Marcel-Dufriche ou le ministre de la culture M. Mitterrand et la senatrice-maire Mme Voynet celebrent l’ouverture du Salon. Un des hommes de la colonne avance et menace de se bruler face a la ligne d’hommes en armes, CRS rieurs et grimaciers, qui l’ecartent de la foule des spectateurs.
La nuit tous rentrent au trottoir proche ou ils survivent sous la pluie contre le mur du chantier d’une future synagogue ou, quelques jours apres, un arrete de „desinfection” est affiche. Il est certifie sur papier executoire par la maire Mme Voynet, et annonce dans la bouche des agents qui viennent l’executer une operation de deratisation. La colonne se reforme et avance jusqu’au square de la Republique ou des agents de police viennent les forcer sur ordre de la mairie de quitter le lieu au pretexte qu’y jouent des enfants non-roms.
Si ces Roms originaires d’Alba Iulia en Roumanie prennent au fond de leur desolation la figure de fantomes, c’est que la politique dont ils sont l’objet est une fabrique de revenants. C’est une machine juridique dont le moyen est de criminaliser la presence des etres afin de produire et reproduire leur disparition. La circulaire de 2006, signee par Claude Gueant pour le ministere de l’interieur, relative aux conditions de sejour et de travail des ressortissants roumains a l’entree de leurs pays dans l’Union europeenne soumet leur acces au travail a une procedure impossible qui, dans son principe, entrave sa fin. Ce qui leur reste alors comme moyen de subsitance et d’habitation la ou ils ont le droit d’etre, tombe sous le coup des deux lois Sarkozy sur la securite et l’immigration qui achevent de les exclure du champ des droits civiques.
Dans l’esprit et dans la lettre, cette juridiction exceptionnelle est similaire a celle instituee par le decret-loi Daladier du 2 mai 1938 sur la police des etrangers. Les consequences jusqu’ici sont, d’une part, le developpement sur le territoire francais d’une persecution irrationnelle des Roms roumains et bulgares, d’autre part, la falsification du nombre d’expulsions annoncees au ministere de l’identite nationale par la repetition des disparitions de ceux dont le retour est, en vertu de la juridiction europeenne, le droit. La logique de cet esprit veut que le fichage biometrique par prelevement ADN sur base raciale est virtuellement effectif dans le corps de la loi, mais rendu inactuel par la condamnation officielle, par les instances europeennes, d’une action similaire de l’Etat italien.
La derniere consequence de cette juridiction purgative, c’est la formation a l’iniative de municipalites d’opposition d’un dispositif qui retient a chaque purge un dixieme environ de la population destinee a disparaitre en la maitenant en vie dans d’etranges purgatoires qui portent le titre de „villages d’insertion”.
Le prelevement de la fraction sur le nombre de la purge est arbitre par une maitrise d’œuvre et suivant des criteres sociaux et sanitaires qui decident du partage entre la retention d’une presence privee de droits et sa disparition revenante. Ces villages pour fantomes ont la forme materielle le plus souvent de baraquements alignes sur plusieurs rangs fermes par une enceinte. Une seule porte etroite est ouverte et gardee par des chiens et leurs maitres en uniforme de societe privee par ou seuls les etres inscrits comme heberges sont libres de passer. A tout autre vivant l’acces est interdit. Le bati est apporte par l’ancienne Societe nationale de construction de logements pour les travailleurs algeriens (Sonacotra) dont l’histoire est celle d’un conflit violent entre heberges et hebergeants. L’ambition des concepteurs de ces dispositifs est de les voir s’etendre a l’ensemble du territoire au motif que leur expansion sera a la mesure de la croissance interne et rentable de leur maitrise.
Un purgatoire est une zone qu’inventent les vivants pour se defendre du retour parmi eux de ceux qu’ils ont fait disparaitre, dans l’attente d’un enfer dont ils ne reviendront pas. Ces villages d’insertion sont en fait et en droit similaires a des „centres de sejour surveille” tel celui de Gurs ouvert en mars 1939 par le gouvernement d’Edouard Daladier, qui dans le mouvement de sa tres rapide mutation enferme de nombreux fantomes fabriques par le decret-loi du 3 mai 1938, dont la philosophe juive allemande Hannah Arendt. Si le contexte de 1939 est celui d’une menace d’invasion par un ennemi militaire, le Reich, le contexte de 2009 est celui de la formation abstraite d’un ennemi imaginaire, l’islam, dont les Roms pourraient etre partie de la cinquieme colonne.
Si les camps sont a l’aurore de l’Europe reconstruite, les signes actuels et actifs de sa ruine indiquent qu’ils peuvent aussi bien etre le lieu de son prochain crepuscule. Tant que des Etats d’Europe manifesteront les signes de sa ruine des Roms, d’autres manifesteront les stigmates de leur desolation.
Pierre Chopinaud est traducteur de la langue romani

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Le purgatoire francais des Roms d’Europe, par Pierre Chopinaud

Le 16 novembre 2009, dans le centre de Montreuil, rue de Paris, face au palais des congres qui abritera neuf jours apres le Salon du livre pour la jeunesse, trente hommes femmes et enfants trop visibles sont chasses par la force publique d’une friche ou ils habitent dans des baraques, detruites sur le champ. Affoles, ils poussent alors en colonne des charriots ou sont rassembles des restes de leur habitat detruit par les autorites jusqu’a un abri sauvage plus loin dans la ville, ou dorment des clochards. Des chiens et leurs maitres en uniforme d’une societe de securite leur en ferment l’entree. Ils poursuivent jusqu’a un terrain etroit ou ils campent la nuit, caches au milieu de leurs effets, et sont reveilles le jour par des agents de la mairie et de la police qui leur ordonnent de fuir.
Affaiblis par la force publique qui les harcele, les prive de sommeil, de nourriture, d’hygiene, ils reforment pendant plusieurs jours la petite colonne qui erre puis s’arrete sur un trottoir entre la friche purgee des ruines de leur ancien logis et la halle Marcel-Dufriche ou le ministre de la culture M. Mitterrand et la senatrice-maire Mme Voynet celebrent l’ouverture du Salon. Un des hommes de la colonne avance et menace de se bruler face a la ligne d’hommes en armes, CRS rieurs et grimaciers, qui l’ecartent de la foule des spectateurs.
La nuit tous rentrent au trottoir proche ou ils survivent sous la pluie contre le mur du chantier d’une future synagogue ou, quelques jours apres, un arrete de „desinfection” est affiche. Il est certifie sur papier executoire par la maire Mme Voynet, et annonce dans la bouche des agents qui viennent l’executer une operation de deratisation. La colonne se reforme et avance jusqu’au square de la Republique ou des agents de police viennent les forcer sur ordre de la mairie de quitter le lieu au pretexte qu’y jouent des enfants non-roms.
Si ces Roms originaires d’Alba Iulia en Roumanie prennent au fond de leur desolation la figure de fantomes, c’est que la politique dont ils sont l’objet est une fabrique de revenants. C’est une machine juridique dont le moyen est de criminaliser la presence des etres afin de produire et reproduire leur disparition. La circulaire de 2006, signee par Claude Gueant pour le ministere de l’interieur, relative aux conditions de sejour et de travail des ressortissants roumains a l’entree de leurs pays dans l’Union europeenne soumet leur acces au travail a une procedure impossible qui, dans son principe, entrave sa fin. Ce qui leur reste alors comme moyen de subsitance et d’habitation la ou ils ont le droit d’etre, tombe sous le coup des deux lois Sarkozy sur la securite et l’immigration qui achevent de les exclure du champ des droits civiques.
Dans l’esprit et dans la lettre, cette juridiction exceptionnelle est similaire a celle instituee par le decret-loi Daladier du 2 mai 1938 sur la police des etrangers. Les consequences jusqu’ici sont, d’une part, le developpement sur le territoire francais d’une persecution irrationnelle des Roms roumains et bulgares, d’autre part, la falsification du nombre d’expulsions annoncees au ministere de l’identite nationale par la repetition des disparitions de ceux dont le retour est, en vertu de la juridiction europeenne, le droit. La logique de cet esprit veut que le fichage biometrique par prelevement ADN sur base raciale est virtuellement effectif dans le corps de la loi, mais rendu inactuel par la condamnation officielle, par les instances europeennes, d’une action similaire de l’Etat italien.
La derniere consequence de cette juridiction purgative, c’est la formation a l’iniative de municipalites d’opposition d’un dispositif qui retient a chaque purge un dixieme environ de la population destinee a disparaitre en la maitenant en vie dans d’etranges purgatoires qui portent le titre de „villages d’insertion”.
Le prelevement de la fraction sur le nombre de la purge est arbitre par une maitrise d’œuvre et suivant des criteres sociaux et sanitaires qui decident du partage entre la retention d’une presence privee de droits et sa disparition revenante. Ces villages pour fantomes ont la forme materielle le plus souvent de baraquements alignes sur plusieurs rangs fermes par une enceinte. Une seule porte etroite est ouverte et gardee par des chiens et leurs maitres en uniforme de societe privee par ou seuls les etres inscrits comme heberges sont libres de passer. A tout autre vivant l’acces est interdit. Le bati est apporte par l’ancienne Societe nationale de construction de logements pour les travailleurs algeriens (Sonacotra) dont l’histoire est celle d’un conflit violent entre heberges et hebergeants. L’ambition des concepteurs de ces dispositifs est de les voir s’etendre a l’ensemble du territoire au motif que leur expansion sera a la mesure de la croissance interne et rentable de leur maitrise.
Un purgatoire est une zone qu’inventent les vivants pour se defendre du retour parmi eux de ceux qu’ils ont fait disparaitre, dans l’attente d’un enfer dont ils ne reviendront pas. Ces villages d’insertion sont en fait et en droit similaires a des „centres de sejour surveille” tel celui de Gurs ouvert en mars 1939 par le gouvernement d’Edouard Daladier, qui dans le mouvement de sa tres rapide mutation enferme de nombreux fantomes fabriques par le decret-loi du 3 mai 1938, dont la philosophe juive allemande Hannah Arendt. Si le contexte de 1939 est celui d’une menace d’invasion par un ennemi militaire, le Reich, le contexte de 2009 est celui de la formation abstraite d’un ennemi imaginaire, l’islam, dont les Roms pourraient etre partie de la cinquieme colonne.
Si les camps sont a l’aurore de l’Europe reconstruite, les signes actuels et actifs de sa ruine indiquent qu’ils peuvent aussi bien etre le lieu de son prochain crepuscule. Tant que des Etats d’Europe manifesteront les signes de sa ruine des Roms, d’autres manifesteront les stigmates de leur desolation.
Pierre Chopinaud est traducteur de la langue romani

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Postat de pe data de 31 dec., 2009 in categoria România în lume. Poti urmari comentariile acestui articol prin RSS 2.0. Acest articol a fost vizualizat de 504 ori.

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